Retour sur 2016 : de la médecine médiévale au service de santé de 14-18 – partie 1
16 Jan 2017, Posté par animation dansUne année bien remplie
En ce début 2017, c’est le moment de faire un petit retour en images sur les animations de l’année passée, une année bien occupée un peu partout en France, avec un petit détour en Belgique :
Les mercredis de la Reine
A coté de la médecine médiévale, de la chirurgie et de l’apothicairerie, les mercredis de la Reine ont été l’occasion de faire découvrir aux visiteurs un pan caché de la culture médiévale, à travers la cosmétologie et les soins de beauté.
La cosmétologie médiévale
- Disparition et réapparition
Si cosmétologie et soins de beauté sont très présents dans la culture de la Rome antique, le faible nombre de sources relatives à ces domaines au cours du haut Moyen Age suggère qu’ils ne sont pas, ou très marginalement, utilisés à cette période. Par contre, les sources réapparaissent au XIIème siècle, avec plusieurs ouvrages composés à Salerne, dans la fameuse école de médecine. A coté des Catholica magistri Salerni, on trouve les deux ouvrages attribués à Trotula, une femme médecin : le premier souvent nommé Trotula Major et intitulé De passionibus mulierum, traite des maladies des femmes et des problèmes liés à l’accouchement ; le second, ou Trotula Minor, est un traité de cosmétologie à part entière. Intitulé « l’ornement des dames », ou Ornatu mulierum, il est souvent associé au premier ouvrage (accompagné d’un troisième texte de Trotula).
- L’influence des auteurs de langue arabe
Le Trotula minor ouvre la voie à de nombreux autres ouvrages, decoratio ou ornatus, et il sera semble-t-il, largement exploité par les auteurs ultérieurs. Les ouvrages correspondant (ainsi que le Trotula) dénotent une influence des auteurs de langue arabe, dont les écrits sont rendus progressivement disponibles par des traductions latine grâce au travail de lettrés tels que Constantin l’Africain (1020-1087) à Salernes puis Monte cassino, ou Gérard de Crémone (env. 1114-env. 1187) en Espagne. Rappelons que ces mêmes auteurs de langue arabe ont précédemment eux-même bénéficié des traductions des œuvres des écrivains antiques grecs et latins par les nestoriens (en syriaque puis arabe), de sorte qu’à compter des VIIIème/IXème siècles, ils enrichissent l’héritage antique de leurs propres expériences.
Cette influence arabe dans les traités occidentaux de cosmétologie est manifeste avec des éléments repris d’auteurs comme Rhazes, Avicenne ou Al-Magûsi. Elle est aussi exposée dans les textes. Citons à titre d’exemple un Ornatus mulierum du XIIIème siècle, d’origine Anglo normande et distinct du texte de Trotula, qui cite comme sources de connaissances, une dame Trote de Salerne et aussi une dame sarrazine de Messine « médecin des gens de sa religion [qui] eût été une femme de grande valeur si elle avait eu la vraie foi« .
- La cosmétologie, domaine du chirurgien
Assez curieusement, pour nos esprits actuels, la cosmétologie est largement présente dans les traités de chirurgie à compter du XIIIème siècle. A l’époque, au contraire, ce point parait parfaitement normal. Avec le déclin de la médecine monastique courant XIIème et la montée en puissance des Universités (Bologne 1088 où un enseignement de médecine est créé a minima à partir de 1119 ; Paris 1200, avec une faculté de médecine dès 1231 créée par bulle du pape Grégoire IX ; Montpellier 1220, mais une école de médecine y existe depuis au moins 1137) la médecine a basculé dans le monde laïque. Le médecin devient un lettré, théoricien et spécialiste du diagnostic et du pronostic. Il se base sur ses connaissances livresques et sur les théories qui y sont exposées (notamment la théorie des humeurs) pour analyser la pathologie du patient et décider de la marche à suivre en vue de sa guérison. Le cas échéant, il prescrit les remèdes qui sont fabriqués par l’apothicaire. Il délègue totalement le travail lié au corps du patient au chirurgien sur le principe que « la tête pensante, c’est le médecin, la main c’est le chirurgien ».
La cosmétologie touchant au « soin » du corps, c’est tout naturellement qu’elle est traitée par le chirurgien. On trouve de fait des chapitres, dans des ouvrages de chirurgiens célèbres, touchant à la cosmétologie. Citons par exemple les ouvrages de Lanfranc de Milan (env. 1245-1306 ; exerce en France à partir de 1290), d’Henri de Mondeville (1260-1320 ; chirurgien du roi Philippe le Bel dès 1301), ou de Guy de Chauliac (1298-1368 ; au service des papes Clément VI, Innocent VI et Urbain V).
- Les enseignements de cosmétologie médiévale : peau, poils, cheveux… et d’autres !
Les textes des ornati et des cyrurgiae montrent des préoccupations centrées essentiellement sur un petit nombre de sujets : l’aspect du visage, les cheveux, la pilosité.
Les canons de la beauté imposent de montrer une peau qui ne présente aucun hâle puisque ce dernier est la marque d’une vie laborieuse au grand air. Le visage doit avoir un teint sans rougeur (paupières notamment) d’où l’utilisation d’onguents blancs. Dans la même logique, la peau doit être dénuée de tâches de rousseur. Elle ne doit pas non plus porter d’irrégularités (dartres, boutons). La pilosité du visage est source de soins attentifs : les sourcils sont présents (des onguents permettent de les faire pousser au besoin) ; les cheveux doivent être fournis, longs, sans pellicules et les recettes visent à en contrôler la couleur en la rapprochant du blond (avec une préférence pour un blond tirant sur le safran ou un blond très clair) ou du noir. Les dents doivent être bien blanches. Enfin le poil doit être « maîtrisé » sur le corps et plusieurs recettes expliquent comment s’en débarrasser.
Toutes ces opération requièrent une pharmacopée tirée des trois règnes dont certains composants sont nettement toxiques : végétaux (froment, rose, noix de galle, brou de noix, cendres, noyaux…), animaux (oeufs, graisse, urine, parties ou produits animaux divers) et minéraux (blanc de céruse, alun, orpiment – sel d’arsenic -, chaux vive…).
D’autres sujets sont traités dans ces ouvrages de façon moins marquée, comme les problèmes d’odeur (bouche, nez). Surtout le sujet déborde vers des aspects plus « tendancieux » : il peut ainsi être aussi question de rendre fictivement une virginité à des femmes avant leur mariage au moyen d’artifices variés, l’essentiel étant que le rapport sexuel aboutisse à une production d’un peu de sang.
- Des pratiques condamnées par l’Eglise
La position de l’Eglise vis à vis de la cosmétologie est très négative et les prédicateurs du Moyen Age n’ont de cesse de dénoncer les pratiques associées. Les exempla, ou récits moralisés, comme par exemple ceux rassemblés au sein de la Scala coeli (échelle du Ciel) de Jean Gobi le Jeune (env. 1300 – 1350?), présentent les arguments retenus contre l’embellissement artificiel. Dans une société où la beauté naturelle est vue comme un reflet d’une belle âme, les artifices des fards et onguents est vue comme un reflet des pratiques du démon qui sait se parer d’une belle apparence pour mieux tromper (les visages fardés sont d’ailleurs fréquemment dénoncés comme le « masque du diable »). Par ailleurs, la volonté d’améliorer son apparence dénote une préoccupation pour la chair aux dépends de l’âme. Cette pratique se rattachent au péché d’orgueil et est fréquemment dénoncé comme conduisant à un second pécher mortel : la luxure.
Devant cette position très tranchée de l’Eglise, les auteurs désirant consigner par écrit leur savoir se trouvent dans une situation inconfortable. Ils prennent de multiples précautions avant de livrer leurs recettes, à l’image par exemple des chirurgiens cités précédemment. Ces derniers utilisent plusieurs artifices : une condamnation des pratiques de cosmétologie en ouverture de leur propre texte sur ces techniques (Henri de Mondeville), ou bien une présentation des pratiques de cosmétologie par la négative en définissant le contenu du texte associé comme n’étant « ni des plaies, ni des ulcères, ni des maladies des os… » (Guy de Chauliac). Cette position rappelle d’ailleurs les artifices employés pour présenter des informations sur des plantes abortives sans expliquer leur réelle utilisation (on parle alors d’expulser des enfants morts avant la naissance).
- Un sujet annexe : la parfumerie
L’utilisation de parfum et substances odoriférantes est, au cours du Moyen Age et plus tardivement, associée à la pratique médicale. Se basant sur la théorie du miasme, énoncée par l’architecte latin Vitruve au premier siècle de notre ère, et admettant l’association mauvaise odeur = miasme, le port d’une substance odoriférante (aromate, parfum) est censé corriger l’air vicié ou chargé de miasme autour du porteur et le protéger (pommes de senteur ou pomme d’ambre). Pourtant, le bas Moyen Age voit se développer la confection de parfums composés, plus complexes que les simples eaux florales ou huiles parfumées. L’eau de la Reine de Hongrie, qui est assemblée dès 1370, marque le début de ces compositions. Elle est la première formule alcoolique d’Occident, avec une base de romarin et d’esprit de vin. A noter que cette eau est censée pouvoir également être consommée à but thérapeutique, pour soigner vapeurs, céphalées, maladie des nerfs, rhumatismes, problèmes digestifs… conservant au parfum un coté médical. Le succès de ce parfum suscitera d’autres compositions, telle que l’eau des Carmes réalisée par les religieuses de l’abbaye de Saint-Juste pour Charles V dès 1379. L’importance de ces compositions parfumées se renforcera encore à la Renaissance.
Quelques photos
L’animation était déployée dans l’enceinte principale du château, sur les pelouses en face du logis royal. Nous avions apporté le grand auvent pour les interventions sur cosmétologie, médecine, chirurgie et apothicairerie, le petit auvent pour les ateliers (fabrication de plusieurs recettes), la tente pour l’hygiène et le cuveau pour le bain.
Le auvent nous a permis d’accueillir le public dans les meilleures conditions et de les mettre à l’abri du soleil qui a brillé sur ces mercredis de la Reine.
Pour l’atelier, nous avions choisi, en plus des classiques recettes d’herbe à brûler, de dentifrice et de mélange d’encens, d’adapter une recette du Trotula minor et de proposer la fabrication d’un baume à lèvre. L’atelier n’a pas désempli avec des participants de tous les ages.
La tente présentait quelques éléments d’hygiène quotidienne.
Le cuveau pour le bain chauffait toute la journée pour une démonstration/séance d’explications en fin d’après midi.
Quelques photos du auvent principal le matin avant ouverture des portes :
Le auvent de l’atelier, là encore avant ouverture des portes :
Dame Clotilde à la fraîche sous un arbre et en démonstration de l’utilisation d’une matula :
Consultation des herbiers :
Les tables de chirurgie et de médecine/apothicairerie.